« Le MJPM : une protection bien fragile. Quelle place et quel rôle pour les services MJPM ? »
Colloque AVSEA – Epinal – 5 novembre 2015
Selon le doyen Carbonnier, tel que rapporté par le Pr Jean Hauser, « l’intérêt est une notion magique dont personne n’a jamais su ce qu’elle voulait dire ».
Comment celle-ci, centrale en protection juridique des majeurs, irrigue t-elle la pratique de ceux chargés de la mettre en œuvre ?
Et d’abord, quelles définitions de la notion d’intérêt ?
Au sens communément répandu ? « Souci de ce qui va dans le sens de quelque chose, de quelqu’un, qui lui est favorable, constitue pour lui un avantage», « ce qui importe, ce qui convient, est avantageux, « attention favorable, bienveillante que l’on porte à quelqu’un ».
Au sens de la protection juridique des majeurs ? Article 415 du code civil : « Les personnes majeures reçoivent la protection de leur personne et leurs biens que leur état ou leur situation rend nécessaire. Cette protection est instaurée et assurée dans le respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et de la dignité de la personne. Elle a pour finalité l’intérêt de la personne protégée. Elle favorise, dans la mesure du possible, l’autonomie de celle-ci. »
Le terme d’intérêt est fréquemment employé dans le code civil ; sans que son contexte d’utilisation ne nous éclaire sur son contenu, cette utilisation fréquente souligne l’importance qu’il revêt en protection juridique des majeurs.
A ce titre, on peut d’ores et déjà énoncer que dans la relation s’instaurant entre personne protégée et mandataire judiciaire, la poursuite de l’intérêt du premier guide l’action du second.
On peut également souligner que quel que soit le degré de protection qu’elle recouvre, la mesure de protection est par essence collaborative ; qu’elle se fonde sur la recherche constante de ce qu’est la volonté de la personne.
Elle en constitue le principe de cohésion et de cohérence.
L’intérêt dit « général » ou à l’acception la plus communément répandue semblerait corroborer l’idée selon laquelle l’action du mandataire judiciaire doit tendre à sauvegarder une situation existante, éviter l’émergence d’une situation dangereuse ou bien encore procurer un avantage à la personne protégée.
Toutefois, celle-ci se doit d’être proportionnée aux enjeux en présence et s’accomplir dans le respect de la volonté exprimée par la personne protégée ; l’exercice du mandat de justice est ainsi étroitement lié aux choix de vie de cette dernière, au travers desquels elle dessine les contours de ce qu’est son intérêt propre ; l’action engagée par le mandataire judiciaire doit avant tout tendre à leur pleine prise en compte et le soutien à leur mise en œuvre.
Chaque mesure s’articulant autour des spécificités propres à la personne protégée, l’intérêt perçu comme finalité première varie d’un dossier à l’autre.
N’est donc ni tout à fait le même ni tout à fait différent.
Dans l’exercice de ses fonctions et les limites imparties à celles-ci, le mandataire judiciaire construit donc une grille de lecture de l’intérêt en jeu à partir des caractéristiques propres à chaque mesure de protection confiée.
Il s’agit d’une élaboration empirique, s’affinant au fur et à mesure que se déroule le mandat, que les échanges avec la personne protégée, ses proches et tout autre acteur se développent.
Alors par quels critères détermine-t-on l’intérêt d’une personne protégée ?
Il n’est pas possible de dresser liste de ces derniers puisqu’ils sont hétérogènes et variables selon les circonstances propres à chaque dossier.
La notion d’intérêt est donc mouvante, incertaine mais indissociable de la situation de vie de la personne protégée. En cela, l’exercice se révèle complexe car il requiert :
- De s’abstenir de toute identification, pourtant aisée et naturelle, à sa propre vision, sa propre conception de ce que recouvre la notion d’intérêt pour s’attacher à définir celle-ci à partir de la situation matérielle et personnelle de la personne protégée ;
- De se garder d’être projectif (cela serait bon pour moi donc je l’applique).
D’intégrer la confrontation des choix exprimés par la personne à la réalité de sa situation personnelle, patrimoniale, médicale, financière : cela apparaît comme une limite évidente à la mise en œuvre de ces derniers ; on peut considérer que cette étape constitue une phase d’objectivation des souhaits formulés.
Ainsi, le mandataire judiciaire va s’attacher à déterminer dans l’acte ou l’abstention sollicitée ou envisagée :
- Le contexte d’émergence, afin de vérifier si la volonté exprimée est éclairée ou pas (la personne protégée connait-elle une phase de décompensation ? Est-elle sous l’influence d’un tiers…) ;
- La temporalité dans laquelle s’inscrit la demande présentée car elle peut ne pas être viable au moment où elle est évoquée mais son aboutissement peut être différé ou être déroulé sur un temps plus long ;
- Les conséquences patrimoniales, physiologiques, personnelles qu’engendreraient l’acte ou l’abstention envisagée.
Si la demande ou le choix exprimés se fondent sur une volonté distinctement exprimée, libre et éclairée, il sera de l’intérêt de la personne protégée de ne pas s’opposer à leur mise en œuvre quel qu’en soit les conséquences, dès lors que la personne protégée aura été informée du contenu et de l’étendue de celles-ci.
Et puis reste l’intérêt de la personne protégée face à l’intérêt collectif
Dans sa pratique, le mandataire judiciaire se confronte souvent aux représentations, parfois schématiques sur ce que recouvre la notion d’intérêt de la personne protégée. Chaque intervenant au dossier, chaque interlocuteur intéressé au suivi de la mesure de protection argue de son point de vue personne, en argumentant et raisonnant relativement à sa sphère de compétence.
Les professionnels de la protection juridique auront alors à valoriser l’expression et le soutien à la mise en œuvre de la volonté ; parfois, à établir un espace de conciliation ; toujours, à rappeler que la personne, même protégée, conserve une compétence à définir ce qu’elle souhaite et projette pour elle-même.