Texte initialement publié dans le bulletin « ANDP et vous » – juin 2016
Parce que le statut du MJPM est au centre des échanges du groupe de travail interministériel installé en décembre 2020 ; parce que les évidences méritent rappel car tues, elles demeurent invisibles aux yeux de celui qui ne sait pas ou préfère les ignorer.
« Il faut commencer par le commencement et le commencement de tout est le courage »
Vladimir Jankélévitch
Aux prémices de la construction identitaire de leur profession, à travers leurs différents corps de métiers, les acteurs du monde de la protection juridique des majeurs sont des commençants ; ils endossent la vertu des vertus, celle du courage, car du seuil inaugural portant rénovation de la protection juridique des majeurs initiée en 2007, la ligne menant à la reconnaissance et la valorisation de leur identité professionnelle paraît longue, son aboutissement incertain.
Cet aléa paraît cependant incongru tant leur activité constructiviste est intense ; nul doute qu’une immersion, même de courte durée, à leurs côtés permet de saisir la particulière originalité de leur action ; de déceler la multiplicité des champs techniques couverts ; de discerner les qualités personnelles mises au service des plus vulnérables. Ces acquis irriguent l’ensemble des emplois ayant attrait à la protection des majeurs ; ils s’étoffent au fil des décennies grâce aux vécus expérientiels de chacun, aux savoirs transmis. Qu’en est-il de la valorisation de ce capital immatériel ? De la mise en lumière de ceux qui le nourrissent ?
Le décret 2008-1508 du 30 décembre 2008 lie l’exercice de la fonction de MJPM à l’obtention préalable du CNC. Celui-ci offre aux personnes protégées et leur entourage, un gage que la mesure de protection est confiée à un professionnel formé et assermenté ; il assure aux MJPM futurs l’acquisition de contenus théoriques et pratiques, évoqués en session collective.
Il traduit donc une aptitude à endosser la fonction.
Bien que certifiés, les MJPM sont cependant renvoyés à leur formation diplômante antérieure puisque placés dans l’impossibilité de se prévaloir d’une formation qualifiante propre à la protection des majeurs vulnérables. La préférence donnée à la simple certification influe sur les conditions de valorisation du métier qu’elle entend réglementer ; tentant d’en cerner les contours par la mise en place d’enseignements généraux, elle n’en caractérise toutefois pas les spécificités. Or l’aboutissement du processus identitaire des professionnels de l’activité de protection juridique passe par la reconnaissance de la singularité de ses éléments constitutifs. En effet, celle-ci rassemble une quantité illimitée de connaissances, de savoir-faire et de savoir-être consubstantiels aux mandats confiés, la situation biographique de chaque personne protégée recelant en son cœur la part de savoirs restant à acquérir pour en garantir l’accomplissement.
En cela, l’exercice du mandat judiciaire de protection impose, par sa finalité même, d’aller au-delà de l’acquis, de remiser ses certitudes, de se départir de toute attitude projective au profit de l’intérêt d’autrui.
Tout en étant supposément investi d’un pouvoir plénier d’action sur autrui ; ce qui contraint sans cesse au rappel du contenu et des limites de chaque régime de protection instauré.
Car le corps social veille à la préservation de ses propres intérêts ; il sait se rappeler à l’oreille du MJPM.
Ainsi, l’activité de protection des majeurs est d’autant plus appréciée qu’elle sait demeurer discrète, efficace, rapide et faiseuse de miracles : promouvoir l’intérêt des personnes vulnérables dans le respect de leur volonté, parfois contre leur volonté lorsque leur discernement est altéré ou aboli, (re)donner corps à leur identité citoyenne lorsqu’elles n’en ont pas ou plus la capacité, savoir s’effacer si la maladie ou le handicap se font plus silencieux, être présent lorsqu’ils surgissent à nouveau ; agir avec justesse et proportion pour autrui, à côté d’autrui ; faire, défaire, faire à nouveau.
Celle-ci est, par ailleurs et encore à ce jour, régulièrement renvoyée aux représentations schématiques empruntées au siècle précédent (le bon père de famille, l’aidant charitable), confrontée à la méconnaissance de ses possibles et de ses limites juridiques et éthiques.
Elle est, souvent, âprement discutée et pourtant si méconnue en ce qui la fonde et la constitue.
En témoigne, les débats toujours en cours sur la place de la notion d’accompagnement en protection juridique des majeurs.
L’instauration d’un parcours de formation à visée diplômante apparaît ici comme l’une des composantes essentielles du processus de construction identitaire des acteurs professionnels de la protection ; elle est un moyen de capitaliser et donner corps à la somme des connaissances explicites et tacites acquises au travers de leur exercice quotidien ; d’en matérialiser ensuite la valeur intrinsèque.
Encore faut-il que la voie diplômante choisie réponde véritablement d’une volonté de leur donner la reconnaissance sociale et financière à laquelle ils peuvent prétendre, non celle que l’on veut bien consentir à leur accorder.
Par essence, la protection juridique des majeurs appelle à soutenir et porter la voix des plus vulnérables sur la scène civile ; faisons en sorte que les professionnels placés à leur côté n’en soient pas eux-mêmes démunis par le renoncement à l’un des éléments essentiels à la pérennisation de leur fonction.