Texte préparatoire aux travaux du Groupe Ethique et Déontologie de la DGCS
Mars 2018
Les travaux actuellement menés au national autour de l’éthique et de la déontologie et auxquels participent activement l’ANDP, revêtent un double intérêt pour les praticiens de la sphère tutélaire.
En partie réflexifs, ils contribuent à repérer les tensions internes parcourant leur action (contraindre et “faire” adhérer, protéger et laisser faire, anticiper -en amont- et réguler- en aval-) et à mesurer l’impact de celles-ci en “situation”.
Et du fait même des questionnements qu’ils induisent, ils concourent à la définition de leur professionnalité.
Mais alors quelle est-elle ? En quoi notre travail auprès des plus vulnérables est-il singulier de celui des autres acteurs du champ social et médico-social ? Que recouvre-t-il au 21ème siècle, celui de la promotion de l’individu et de sa capacité à agir par lui-même sur ses conditions sociales et économiques, de l’accélération des processus dématérialisés, celui de la rationalité budgétaire et de la performativité, celui du temps contraint et restreint?
En quoi a-t-il muté depuis le milieu du XXème siècle, celui au cours duquel l’émergence de l’activité professionnelle de protection a été rendue possible ?
En somme, qu’est-ce que faire profession, ici et maintenant, quand on appartient à un collectif de travailleurs en devenir ?
L’approche sociologique de cette question est intéressante car elle permet de mettre au jour un certain nombre de caractéristiques communes à ce type de regroupement.
Ainsi, “la profession [..] peut être assimilée à une communauté dont « les membres sont liés par un sentiment d’identification […], partagent des valeurs communes, [dans laquelle] la définition des rôles est la même […] et “dispos[ent] d’un savoir « expert », dont [ils] négocient et défendent la maîtrise auprès d’autres groupes professionnels”.
Une profession tend donc à “définir et défendre [sa] « juridiction », au sens métaphorique du terme de compétence technique réservée, dans différentes « arènes », dans l”espace public et sur le lieu de travail, en droit et dans les tribunaux”
Il est donc naturel et sain que nous tentions l’entreprise de clarification des savoirs et compétences développés dans l’exercice tutélaire et d’identification des différences et convergences inter-professionnelles qui peuvent s’établir par ailleurs entre chaque groupement prenant part à l’intervention sociale.
Et cela en gardant à l’esprit que “[nous n’avons] qu’une mainmise limitée sur les compétences que nous jugeons [nous] être propres et sur les domaines qui [nous] sont reconnus”
Tous modes d’exercice confondus, notre travail revêt donc une “identité pour soi” déclinée à travers les attributs techniques qui lui sont propres.
Dans le même temps, il porte “une identité pour autrui” , celle construite autour des éléments de réglementation et de contrôle de son accès et de son exercice (CNC, prêter serment, agrément).
Cette dernière fait consensus, sauf à considérer que rien n’est dit de la qualification (diplôme) et de valorisation (rémunération) de ce savoir expert.
C’est donc bien sur la représentation propre que les MJPM ont de leur travail, de son contenu, de sa finalité et de ses effets, qu’il est intéressant de réfléchir.
Toujours au plan sociologique, il est noté que “ la profession peut se définir comme une communauté [dans laquelle], la communication extérieure se fait grâce à un langage spécifique[…] » .
Une profession se dote donc naturellement d’un champ lexical distinctif à même de définir précisément l’activité de ses membres.
L’étude du sens des mots employés à cet effet revêt donc ici une importance toute particulière.
En effet, les mots traduisent une certaine idée du réel laquelle se répercute sur le fonctionnement de la pensée.
Il est donc indispensable de bien cerner les implicites ressortant de la terminologie employée pour qualifier l’exercice professionnel du MJPM afin que sa compréhension soit la plus claire et la plus juste possible.
A ce titre, il est notable que la notion “d’accompagnement” irrigue de plus en plus les réflexions tenant à la nature et au contenu de l’activité tutélaire.
Cela traduit une volonté forte d’ancrer l’idée que le MJPM “est aux côtés de la personne” “ se joint à elle” dans son parcours de vie et qu’il en partage les vicissitudes ; ce qui est indéniable du fait même de la relation interpersonnelle s’établissant entre personne protégée et MJPM.
Toutefois, le terme d’accompagnement reste fortement corrélé au champ sémantique du travail social, dans lequel il recouvre déjà des sens multiples.
Est-il alors possible de considérer qu’il entre dans le périmètre d’exercice des mesures de protection prononcées par la juridiction d’instance?
Cela tendrait à dire du MJPM qu’il serait un accompagnant tutélaire plus qu’un auxiliaire de justice assermenté ? Ou un accompagnant tutélaire et un auxiliaire de justice assermenté ?
Mais peut-il être les 2 ?
Qu’opposer alors de cette identité biographique propre, reconnue et défendue par les praticiens et pourtant, si discutée à l’extérieur ?
D’une part, la porosité existant entre les champs couverts par l’accompagnement social et par l’activité tutélaire n’exclut pas qu’ils répondent de finalités distinctes.
Certes, ils ont en partage la vulnérabilité de leurs publics, certains outils, certains réseaux professionnels et répondent des grands principes constitutifs de l’action sociale et médico-sociale (L116-1 et L311-1 du CASF).
Mais alors même qu’ils concourent aux missions d’intérêt général et d’utilité sociale énoncées par le législateur, les professionnels de la sphère tutélaire exercent une protection juridique au profit de personnes placées sous mandat judiciaire.
En effet, le cadre et le contenu des missions conférées est (et doit rester) encadré par la juridiction d’instance.
Individualisée, proportionnée et subsidiaire, la protection instaurée s’articule autour des choix de vie et des préférences de la personne.
Pour cela, le MJPM soutient le processus décisionnel à l’oeuvre sur la scène juridique et compense la perte ou l’absence de capacité d’exercice lorsque la loi le commande ou les nécessités conjoncturelles d’une situation l’exige.
Il informe la personne des conditions d’accomplissement de l’acte qu’elle projette et des conséquences de celui-ci afin qu’elle soit en situation de décider par elle-même et pour elle-même.
Il porte la volonté discernée ou exprimée dès lors qu’elle est éclairée et libre ; en cas contraire, il alerte, et à titre tout à fait exceptionnel en curatelle, se substitue à la personne lorsque ,notamment , son inaction lui fait encourir un péril grave.
En tutelle, il l’associe autant que possible aux actes la concernant et se décide en référence à ce qu’elle souhaiterait ou ferait si elle était en mesure d’agir pour elle-même.
Le MJPM n’a donc d’autre intérêt que celui de la personne, défaite d’une partie de sa capacité civile ; il promeut et concourt à la prise en compte effective de ses droits fondamentaux et de ses choix, en prenant soin de se départir de tout penchant projectif.
En ce sens, l’action du MJPM est non-directive et n’a pas vocation à normer a priori les choix de la personne protégée en influant sur le processus décisionnel cette dernière ; elle en organise les conditions de mise en oeuvre en s’assurant que la personne dispose des informations et ressources lui permettant de délibérer et d’atteindre le résultat voulu.
Il n’est donc pas ici question de travailler à l’intériorisation par la personne protégée des règles, sociales ou juridiques, organisant les collectifs humains.
L’acte pensé et exprimé librement pourra s’accomplir s’il est conforme au plan juridique et réalisable au plan matériel. Peu importe qu’il réponde ou non de la norme sociale définie et acceptée.
L’action du MJPM n’a pas, non plus vocation à normaliser les choix de la personne protégée en “corrigeant” ces derniers.
Tout au plus, le droit offre-t-il au MJPM la possibilité de réduire la portée d’un acte excessif ou de faire annuler un acte pour lequel le consentement (traduction juridique de la notion de volonté) de la personne était absent ou vicié.
Et d’opérer ainsi une régulation a posteriori au titre de la sécurité juridique, essentielle aux rapports de droit s’établissant entre les individus.
La relation interpersonnelle s’établissant entre MJPM et personne protégée n’est pas contractuelle mais elle est judiciairement instaurée ; il n’y a donc pas de réciprocité d’engagement et bien que le consentement de la personne à l’ouverture de la mesure de protection soit recherché, celle-ci s’impose à elle dès lors qu’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles est de nature à empêcher l’expression de sa volonté et nécessite qu’elle soit assistée ou représentée dans les actes de la vie civile.
Et même si la personne consent formellement à son placement sous protection juridique, cela ne signifie pas pour autant qu’elle accepte et/ou reconnaît la vulnérabilité qui le rend nécessaire.
La mesure de protection ne prend fin que si les causes ayant présidé à son ouverture ont disparu.
La relation tutélaire s’inscrit donc dans un cadre contraint par l’effet du droit et évolue dans un contexte fluctuant et aléatoire par l’effet des troubles dont la personne peut être atteinte.
Le MJPM doit donc composer avec la volonté d’un être incertain et tenir le mandat quelque soit le degrés de coopération possible avec celui-ci. Il ne peut se défaire de ses missions sur demande de la personne ou du fait des difficultés qu’il rencontrerait à les exercer.
Il existe une grande part d’insaisissabilité dans l’exercice tutélaire, consubstantielle aux publics auxquels il s’adresse ; pour autant, celle-ci ne détermine ni le contenu ni la durée des missions conférées au MJPM.
Il est cependant possible que l’action du MJPM produise des effets comparables à ceux recherchés en matière d’accompagnement social. Ainsi, la personne protégée aura pu décider d’orienter différemment son processus décisionnel au regard des informations qui lui auront été communiquées. Elle se sera alors construit de nouvelles références pour affiner ses prises de décisions ultérieures.
Ou sa situation financière aura pu s’assainir en raison de la mise en place de mesures d’apurement négociées avec ses créanciers.
Il est également courant que le MJPM emploie des techniques empruntées au travail social pour exécuter ses missions : l’écoute active, l’analyse systémique, l’élaboration méthodique d’un diagnostic social.
En ce sens, l’accompagnement, s’il doit être ainsi nommé, est alors un moyen et non une finalité de l’activité tutélaire.
De tous ces éléments, il ressort que la qualité humaine la plus communément partagée de tous les acteurs de la sphère sociale et médico-sociale est bien celle de l’intelligence du lien et de la vigilance éthique dans la manière dont celui-ci s’établit.