Journée de service EVA Tutelles – 8 octobre 2021
Présentation du projet de service 2021-2026
La place centrale de la personne protégée rappelée par Marie Line MURYS et l’ouverture vers l’extérieur évoquée par Alexandra POCLET sont l’occasion d’explorer la nécessité d’une réflexion éthique permanente, inscrite au cœur de notre projet de service.
C’est avec un grand plaisir que je me suis vue confier la mission de vous en parler.
L’éthique, vous en faites tous, tous les jours ! Mais qu’est-ce que cela signifie exactement ?
Le terme « éthique » vient du grec « ethos » désignant « les mœurs », la « morale ». Il renvoie à l’agir humain, aux choix à faire, aux valeurs.
L’éthique se distingue du droit. Le droit s’applique, il s’impose, là où l’éthique est une discussion, une « norme » que l’on va choisir d’appliquer.
Elle diffère aussi de la déontologie qui relève de prescriptions concrètes faisant consensus.
La réflexion éthique, elle, émerge d’un questionnement issu de tensions entre différentes exigences : celles de la personne protégée, du juge, des proches, des partenaires… ces exigences ne faisant pas toujours consensus !
Mais alors, quelles sont ces situations où nait le questionnement éthique ?
Il s’agit parfois d’un conflit entre des principes, des valeurs, des devoirs.
Par exemple, lorsqu’une personne protégée refuse la mise en place d’aides nécessaires au regard de ses besoins, vous vous trouvez face à un conflit entre le principe d’autonomie (qui impliquerait de respecter le refus de la personne) et le principe de bienfaisance (qui commande d’agir conformément à ce qui apparaît être dans son intérêt).
D’un point de vue éthique, l’enjeu est d’articuler ces deux exigences, de les hiérarchiser, au regard de la situation.
Il peut s’agir aussi d’une situation qui vous met mal à l’aise, lorsque les valeurs que vous entendez respecter dans l’exercice de votre mission se heurtent au principe de réalité.
Par exemple, lorsqu’aucune solution de relogement n’a pu être trouvée pour une personne protégée sans domicile.
Il existe également des situations où le questionnement éthique relève d’une incertitude, d’une crainte à mettre un œuvre concrètement un principe.
Ce peut être le cas lorsque le cadre légal est insuffisant pour vous éclairer.
Par exemple, comment, en pratique, respecter l’autonomie de décision de la personne quand celle-ci exprime une volonté fluctuante ou que des troubles cognitifs impactent sa capacité de discernement ?
En résumé, la réflexion éthique c’est interroger ce qui ne va pas de soi. C’est observer une situation dans sa singularité ; identifier les enjeux, les valeurs qui entrent en tension, en conflit ; formuler les questions qu’elle soulève ; considérer les options envisageables et leurs conséquences, et délibérer.
La réflexion éthique invite à explorer une diversité d’options, de choix, d’actions à entreprendre. Ce processus de réflexion suscite la créativité, cherche d’autres solutions que celles qui apparaissent d’emblée.
Il n’y aura pas de décisions parfaites, mais souvent plusieurs solutions acceptables, ou une combinaison de solutions. On s’éloigne du schéma noir ou blanc pour explorer des zones de gris.
La réflexion éthique découle aussi de l’esprit des lois et normes qui s’appliquent à notre matière :
Le législateur met deux principes en tension dans l’article 415 du code civil :
- la protection des biens et de la personne
- le respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et de la dignité de la personne.
Il ne nous indique pas ce qui pourrait primer, et nous renvoie la charge et la responsabilité de décider lequel de ces principes sera privilégié, en fonction de la situation.
Ce que l’on remarque, c’est que tout le mécanisme de la protection juridique se décline autour de la recherche constante de l’expression de la volonté.
Sous l’égide de la DGCS, un recueil de repères pour une réflexion éthique des MJPM a vu le jour en septembre 2021.
Notre association s’inscrit dans cette dynamique. Notre projet de service traduit la volonté de développer une conscience éthique, de réfléchir et se questionner sur nos pratiques. Ainsi, il met en lumière diverses tensions (que vous découvrirez à sa lecture…) :
- La contrainte
La difficulté est que la relation entre MJPM et personne protégée n’est pas contractuelle mais judiciairement instaurée. Il s’agit donc de composer avec la volonté incertaine, fluctuante de la personne et tenir le mandat quel que soit le degré de coopération possible.
- Le présupposé d’incapacité
Pour le corps social, la mesure de protection peut être synonyme d’incapacité de la personne à agir par et pour elle-même, allant parfois jusqu’à la disqualifier socialement et juridiquement.
Nous portons une vision différente : les personnes protégées demeurent capables, mais capables autrement. Capables dans leur singularité, tenant compte des forces et faiblesses propres à chacun.
Notre association fait le pari de considérer l’individu dans ses potentialités plutôt que dans sa seule vulnérabilité.
- Le « laisser faire »
Quel que soit le degré de protection, il est primordial de ne pas se substituer à la personne, ni aux intervenants, aux proches, aux familles.
Il nous appartient de réfléchir à la question suivante : « Comment ce que je fais influe-t-il sur ce que la personne protégée va pouvoir faire ? Comment mon action encourage sa prise d’initiative, la sécurise, lui donne confiance ? Est-ce que je lui donne les moyens de son autonomie, en regard des capacités concrètes dont elle dispose ?
Un choix déraisonnable ou même désavantageux peut être fait s’il est issu de la volonté, du consentement éclairé de la personne. Nous laissons s’exercer l’autonomie morale !
Une telle conception implique d’accepter une part de risque, de ne pas raisonner dans la logique toute-puissante de la recherche du « meilleur intérêt » pour la personne au détriment de la liberté de choix.
De s’interroger sur le bien-fondé de nos décisions : Est-ce la personne que l’on cherche à protéger d’un véritable risque pour elle, ou bien nous-mêmes que nous cherchons à protéger d’un risque professionnel ?
Notre projet de service fait de la réflexion éthique un marqueur fort de notre identité professionnelle, qui s’inscrit dans notre pratique quotidienne :
- Par la réflexion menée sur les actes que nous posons et leurs conséquences
Il y a de la collégialité dans les prises de décision. Vous n’êtes jamais seul face à une prise de décision. Elle est réfléchie entre collègues, dans le trinôme, l’équipe, avec le mandataire référent et la direction d’antenne en fonction des cas.
Dans nos instances collectives, telle que l’analyse de la pratique, ou les études de cas.
A l’occasion de temps institutionnels forts tels que la journée de service de décembre 2019 qui a mis en avant l’importance du regard que vous portez sur le majeur protégé, qui contribue à restaurer la confiance que celui-ci a en sa capacité d’agir. L’accent a été mis sur la recherche de l’autonomie relationnelle, qui doit guider notre manière d’intervenir auprès de la personne protégée.
- Dans notre positionnement vis-à-vis des tiers, par la promotion des droits des personnes protégées.
Nous avons développé des outils en ce sens tels que le courrier « laissez-nous faire seuls », qui permet à la personne protégée de faire valoir ses droits par elle-même.
Nous refusons de faire le choix de la facilité et défendons la liberté dans les décisions à caractère personnel. Vous l’avez vécu très fortement à travers le consentement à l’acte médical par exemple. Lors de la campagne de vaccination covid, vous avez tenu un positionnement juste juridiquement et éthiquement, malgré la pression exercée sur vous par les autres professionnels.
Arrêtons-nous sur le cas de la prise de décision substituée. Elle impose un questionnement éthique particulier, en l’absence de discernement de la personne protégée, quand elle ne peut communiquer ni exprimer une quelconque volonté. Vous recherchez à retracer les éléments qui, dans son environnement et son histoire, vous conduisent à faire un choix au plus près de ce qu’elle aurait pu exprimer.
C’est à travers la réflexion éthique que nous tentons de répondre à la question posée au cœur de notre projet de service : Comment concevoir qu’une contrainte édictée sur autrui par le droit puisse être un facteur d’émancipation individuelle et de réappropriation d’une autonomie perdue ?
Par un positionnement qui favorise la remobilisation de la personne, la reprise de confiance. Une meilleure connaissance des contraintes de l’environnement et de la situation, et l’acquisition de certains principes de réalité.
La personne protégée aura pu décider d’orienter différemment son processus décisionnel au regard des informations qui lui auront été communiquées, des temps d’échange au cours desquels vous vous serez placé sur un « pied d’égalité » avec elle. Elle se sera alors construite de nouvelles références pour affiner ses prises de décisions ultérieures.
Notre projet de service nous appelle, dans notre quotidien, à faire la part belle à la réflexion éthique, à partager nos doutes comme nos certitudes.
Remettons en cause nos propres jugements, pour nous permettre de prendre de meilleures décisions, conscients que « le groupe fait systématiquement mieux que le meilleur de deux individus ».
Merci de votre attention.