« Les facettes de l’éthique MJPM »
Colloque AFFECT – Arcachon – octobre 2021
La volonté et le consentement, notions qui ont été prégnantes tout au long de cette journée sont deux émanations du « soi » que le mandataire judiciaire recherche, soutient, consolide sur la scène juridique, œuvrant à travers ce délicat exercice professionnel, pour être utile et ne pas nuire.
Comme nombre de celles ayant attrait aux grandes vulnérabilités, la protection juridique des majeurs est une activité « des possibles » où se côtoient l’incertain, le probable et le défini.
Elle requiert donc que ses finalités, ses principes et ses limites soient explicités.
En ce sens, les notions de proximité et de quotidienneté, couramment confondues l’une l’autre en protection juridique des majeurs, doivent être dissociées car elles revêtent en effet une signification distincte.
En effet, le mandataire judiciaire exerce un mandat de protection juridique de la personne et/ou de son patrimoine. Cette protection favorise, dans la mesure du possible, son autonomie1.
Ainsi, le mandataire judiciaire travaille en proximité (c’est-à-dire à faible distance2) pour et avec autrui, puisque travailler à la consolidation en droit de la volonté (à savoir le consentement) suppose théoriquement de l’avoir identifiée et recueillie en amont, avec patience, sans franchir la barrière de l’intime, se laissant guider par ce que la personne, son histoire, son contexte de vie expriment.
Le temps long est donc un élément clef de la pratique des acteurs professionnels de la protection juridique.
Pour que la personne protégée ait véritablement prise sur les décisions qui la concernent, et de manière aigue lorsqu’elles attraient à sa santé, il est attendu du mandataire judiciaire qu’il vérifie que l’information sur l’acte ou les actes envisagés lui soit transmise de manière accessible et adaptée.
Cela implique notamment de s’assurer que le rythme de délibération de la personne est respecté.
Les interactions entre le mandataire judiciaire et la personne protégée s’opèrent donc dans la durée et la récurrence des échanges afin que chaque décision de celle-ci advienne, autant que possible, de manière pesée et libre.
Pour autant, le mandataire judiciaire, qui agit en proximité de la personne, n’est pas un aidant du quotidien (c’est-à-dire ce dont on use ou ce que l’on fait tous les jours3).
En matière de santé, son rôle ne consiste pas « à transporter ou à accompagner la personne protégée aux rendez-vous médicaux, à chercher ses traitements4», à constituer son trousseau, bien qu’il fût assez courant qu’il lui soit demandé d’agir en ce sens.
Précisément, favoriser l’autonomie c’est assurer et conserver à la personne les moyens de décider et faire par elle-même.
C’est aussi, dans la mesure de ce qu’elle souhaite et ce que sa situation globale offre, la mettre en disposition d’être épaulée par les acteurs spécifiquement formés et expérimentés à l’accompagnement social et médico-social.
Cette précision liminaire est importante puisqu’ elle invite les intervenants du champ social, du sanitaire et du juridique à se considérer comme partie prenante d’un système d’acteurs, orienté vers la personne protégée, occupant chacun des places définies et complémentaires les unes des autres.
En matière de soins, au regard de la règle de droit, le principe est de laisser autrui décider pour lui- même (I).
En application de l’ordonnance du 11 mars 2020, le régime des décisions prises en matière de santé, à l’égard des personnes majeures faisant l’objet d’une mesure de protection juridique, est en effet clarifié.
Quel que soit le dispositif de protection instauré, elle est au centre du processus de délibération ; son consentement est systématiquement recherché.
Théoriquement, rien n’est donc déduit ex-ante, c’est-à-dire au préalable. Il s’agit bien « d’un aller vers » la personne pour savoir ce qu’elle souhaite, pour chaque décision, avant l’engagement de l’acte.
Lorsque la personne est en mesure de s’exprimer, elle doit être consultée. Son choix retenu, s’il apparaît libre et éclairé.
Il n’y a donc pas de consentement général, ni d’intérêt standardisé qui puisse trouver application.
En régime d’assistance, le mandataire judiciaire s’efface puisque la personne exerce personnellement ses droits et reçoit directement les informations relatives à son état de santé.
Le mandataire judiciaire n’en est destinataire que si celle-ci l’autorise.
Dans les faits, il peut cependant arriver que la personne protégée le sollicite pour éclairer sa prise de décision.
Face à la masse d’informations dont elle est destinataire, elle peut en effet préférer s’en remettre à la voix de celui ou ceux dans lesquels elle a placé sa confiance, sans rentrer dans un calcul précis des bénéfices/risques encourus.
Pour le mandataire judiciaire, la tentation pourrait être ici d’évoquer son expérience ou son point de vue, d’établir des parallèles avec des vécus pourtant distincts de ceux de la personne.
D’évidence pourtant, toute interaction pèse ; et influe parfois beaucoup sur la prise de décision.
En ces circonstances, il est essentiel que le professionnel se centre sur l’articulation du processus de décision de la personne, non sur le choix qui en résultera : rappeler la possibilité de faire appel à d’autres tiers compétents pour décider en meilleure connaissance de cause, rappeler la possibilité de solliciter de nouvelles explications ou des explications complémentaires auprès des médecins ou soignants référents, vérifier avec la personne que des solutions alternatives existent ou ont été envisagées, lui permettre de définir les critères de sélection qui lui importent, les facteurs à prendre en considération.
En régime de représentation, le mandataire judiciaire reçoit l’information médicale mais là encore « le majeur sous tutelle a le droit de recevoir directement l’information et de participer à la prise de décision le concernant5 ».
Le mandataire judiciaire est ici participant de fait, là ou en régime d’assistance, le processus décisionnel se déroule de principe hors de son champ d’intervention.
Même en ces circonstances, il lui incombe de vérifier que le consentement formel émis par la personne est adossé à la délivrance par les tiers d’une information accessible et adaptée (cf. supra), donnée dans des conditions favorisant son intégration ; de vérifier que la phase de préparation à la décision s’accomplit autant que possible dans le rythme de la personne6.
Il faut souligner à nouveau que l’approche temporelle est fondamentale en protection juridique des majeurs.
Elle rend compte de l’épaisseur, de la coloration d’une vie, des modalités selon lesquelles la personne opère ses choix, énonce ses refus.
La question de la décision est ainsi celle d’une narration car l’acte de décision est un acte participant de la construction d’un individu.
Configuré, au moins pour partie, par ce qu’il a été (ce qui est survenu dans mon passé proche ou lointain, contribue à ce que je suis aujourd’hui), ce qu’il est (comment je me détermine ici et maintenant) et ce qu’il envisage d’être (ce que je souhaite pour moi-même à l’avenir).
Même énoncé dans l’instant, la décision est le résultat d’un « tout » répondant d’une construction inscrite dans le temps.
Le mandataire judiciaire observe ce processus de délibération s’accomplir en de nombreux domaines du quotidien ; il constate les influences sociétales, relationnelles, économiques qui le sous-tendent.
Il le voit se déployer sur la durée et cette perspective rare sur la volonté dans le temps long est précieuse.
En cela, laisser la volonté et donc possiblement le refus de soins advenir, n’est pas un abandon.
En protection juridique des majeurs, le choix discerné et libre, même désavantageux, même risqué, même marginal devrait s’imposer puisqu’il n’appartient pas au mandataire judiciaire de raisonner la personne vers ce qui serait un choix de bon sens.
Il reste toutefois que l’absence de possibilité d’expression de la personne ou l’impossibilité pour elle d’énoncer un choix libre et éclairé pourra conduire le mandataire judiciaire à autoriser au nom d’autrui (II), acte professionnel éminemment complexe.
En application de la loi du 23 mars 2019, « lorsque le jugement autorise le tuteur ou la personne habilitée à représenter le majeur, l’organe de protection prend les décisions concernant les actes médicaux y compris ceux portant gravement atteinte à son intégrité physique. Aucune autorisation du juge n’est nécessaire en la matière7 ».
Ces modifications ne sont pas sans conséquence sur le champ de responsabilité(s) incombant désormais au mandataire judiciaire.
Plus que jamais, est-il nécessaire de tracer, de documenter les choix et préférences exprimées, les modalités d’information déployées pour pouvoir rendre compte en temps utile de ses actes professionnels.
De s’entourer également, pour éviter l’arbitraire d’un choix uniquement raisonné avec soi-même.
Comment faire alors ?
Il s’agit d’abord de faire connaître ce que la personne protégée a antérieurement énoncé pour elle-même.
Ici, le droit est d’une aide considérable car il offre des outils assurant la permanence de la vie intérieure au-delà des vicissitudes du corps et de l’esprit. Nous retrouvons ici les directives anticipées, la désignation de la personne de confiance.
Ces outils sont des alliés essentiels de la pratique du mandataire judiciaire8.
Ils demeurent pourtant peu exploités au quotidien.
Mais s’il n’y a pas de directives anticipées, pas de personne de confiance, si la personne protégée et le mandataire judiciaire n’ont jamais abordé ce point ensemble (tout un chacun peut se refuser à penser la potentielle dégradation de ses facultés, à projeter sa fin de vie), vers quels critères se tourner au moment d’autoriser l’acte médical ?
L’objectif reste celui de faire vivre « la volonté d’autrui », même privé de la capacité de s’exprimer pour lui-même.
Hors des frontières françaises, l’approche comparée peut s’avérer éclairante et aider à l’ajustement de la posture professionnelle du mandataire judiciaire.
Ainsi l’Angleterre et le Pays de Galles se sont dotés en 2005 d’une série de dispositions dont nous pourrions nous inspirer9.
Elles précisent que la personne chargée d’autoriser l’acte doit notamment, autant que ceux-ci puissent se vérifier :
Considérer les choix et préférences antérieures de la personne (et notamment, tout écrit produit par elle quand elle en avait la capacité),
Considérer ses croyances, les valeurs qui seraient de nature à influencer sa décision si elle était en capacité de la prendre,
Tout autre facteur qu’elle serait susceptible de prendre en considération s’il était en mesure de le faire.
De fait, tant que la vie est là, la personne protégée, en ce qu’elle a été et est encore, demeure.
Elle prime.
Ce n’est qu’en dernier recours et à défaut de pouvoir s’appuyer sur d’autres matériaux, que l’arbitrage avantages/désavantages, coûts/bénéfices, celui qui fait appel à une approche calculée, plus généraliste et de fait plus éloignée de la personne concrète, pourra être mobilisé.
La personne. Un sujet unique (III).
Le soin médical, l’intervention sociale, le droit des majeurs protégés, trois dimensions pour une même convergence.
Vers ce visage de l’autre dont Emmanuel Levinas indiquait que dès qu’il apparaît, il m’oblige.
Cette responsabilité immédiate et impérieuse qui finalement fonde pour chacune de ces trois dimensions un même mouvement vers autrui.
Au-delà des raisonnements actuels rattachant l’activité de protection juridique aux activités dîtes d’accompagnement social, pourrions-nous l’approcher en considérant qu’elle est véritablement une troisième voie d’attention autonome aux vulnérabilités, entre le champ sanitaire et le champ social ?
Comme opportunité de reconnaître et de donner corps à ce que les praticiens perçoivent et tentent de traduire depuis de si longues années.